Le 22 septembre 2025 restera dans l’histoire comme un jour où la France, enfin, a retrouvé sa voix singulière et sa voie universaliste. La destruction systématique, la famine organisée, l’obstruction à l’aide humanitaire, les tirs sur les hôpitaux et les écoles, les dizaines de milliers de cadavres de Gazaouis, en un mot le génocide, auront eu raison des longues hésitations du président Macron.
Il faut mesurer le chemin parcouru pour se satisfaire de ce premier pas — essentiel mais insuffisant. Pendant de longs mois, l’Élysée s’était contenté de formules prudentes. Après l’effroyable pogrom et attaque terroriste du 7 octobre, la France a d’abord exprimé un soutien total et inconditionnel à la réplique israélienne, avant de rétropédaler timidement sous la pression de l’opinion publique. Ce double jeu a abouti à une série de décisions désastreuses : l’alignement sur la position américaine refusant un cessez-le-feu immédiat ; l’absence de toute sanction contre Israël ; un soutien économique et militaire indirect à Tel-Aviv, par le maintien d’accords commerciaux et de ventes d’armes (n’en déplaise au nouveau Premier ministre). Bref, une trahison de la position historique propre à la diplomatie française.
Alors que l’histoire nous apprend que les grandes tragédies internationales dessinent les lignes de fracture entre ceux qui se couchent et ceux qui résistent, les atermoiements de la France sur la question palestinienne étaient devenus intenables. En socialistes, nous ne pouvons donc que nous réjouir d’une décision que nous réclamions depuis longtemps déjà. Dépassant ses réticences initiales, le président de la République a lentement pris conscience de la situation proprement inhumaine dans laquelle était plongée la population gazaouie.
Une reconnaissance nécessaire pour bâtir une solution à deux États
Sur le plan diplomatique, la reconnaissance de la Palestine par la France constitue une inflexion majeure dans l’équilibre des relations internationales. Si 148 États (soit plus de 75 % des membres de l’ONU) la reconnaissent déjà, la plupart des pays dits « occidentaux » s’en sont jusqu’ici abstenus. La France devient ainsi le premier membre du G7 à franchir ce pas. La force de cette décision vient de la capacité de Paris à y arrimer d’autres nations. Fidèle à sa vocation universelle, elle a entraîné dans son sillon plusieurs États : Canada, Royaume-Uni, Australie, Malte, Belgique, Luxembourg ou encore le Portugal. Autant de nations occidentales, dont les trois premières, historiquement arrimées au camp atlantiste, alors même que Washington demeure depuis les années 1970 le principal pourvoyeur du soutien financier et militaire à Israël.
Mais, tout bon socialiste, le sait, entre le réel et le formel s’intercale le fleuve de l’Histoire : on en aperçoit l’autre rive, mais encore faut-il avoir le courage de franchir le Rubicon. À cette reconnaissance de fait s’ajoutent ainsi des efforts destinés à la rendre effective. La « déclaration de New York », adoptée à une très large majorité le 12 septembre et portée par la France et l’Arabie saoudite devant l’Assemblée générale des Nations unies, en est un. Elle associe les pays arabes à la lutte contre le Hamas et à la libération des otages, ainsi qu’à la mise en œuvre des conditions de sécurité pour le futur État palestinien, en mettant en exergue le rôle que devra avoir l’Autorité palestinienne avec Mahmoud Abbas à sa tête. Ces actions laissent penser que cette reconnaissance pourrait, à terme, trouver une traduction réelle.
Les outrances verbales du gouvernement israélien à l’endroit de notre pays, au lendemain des annonces du président Macron, témoignent de l’importance de ce geste. La reconnaissance de la Palestine est un acte juridique, mais pas uniquement. Elle est également performative en donnant, aux yeux de la France, une existence légale au peuple palestinien, et donc aux attributs de la souveraineté qui lui sont afférents. Le peuple palestinien existe, et il a le droit de vivre.
Mais insuffisante pour mettre fin au génocide
La diplomatie et la symbolique ne se suffisent pas à elles-mêmes. La France, quoiqu’engluée depuis quelques décennies dans un atlantisme délétère, conserve une voix singulière dans le concert des nations. Elle doit agir fermement. Nous savons que les obus israéliens ne seront pas arrêtés par des déclarations ex cathedra sur la tribune de l’ONU. Nous appelons donc le président de la République à accentuer la pression sur le gouvernement israélien, à l’instar du Premier ministre socialiste espagnol Pedro Sanchez, afin de faire cesser le génocide du peuple palestinien.
Il lui revient de porter une véritable politique de sanctions. Celles-ci ne doivent pas se limiter aux acteurs économiques impliqués dans la colonisation en Cisjordanie. Tandis que la France n’a jamais hésité à sanctionner d’autres pays pour des violations bien moindres du droit international, le gouvernement n’a même pas mentionné cette hypothèse pour Israël. Or, si l’on prend au sérieux le terme de génocide, il est indispensable de sanctionner directement les membres du gouvernement israélien, mais aussi et surtout l’État d’Israël lui-même. L’accord entre l’Union européenne et Israël doit quant à lui être suspendu. En 1967, le général de Gaulle avait montré qu’une politique de fermeté était possible en imposant un embargo total sur les livraisons d’armes à Israël. Face à l’une des pires catastrophes humanitaires du XXIe siècle, on ne comprendrait pas que le gouvernement français poursuive ses exportations envers un gouvernement génocidaire.
En définitive, la reconnaissance de l’État palestinien constitue une avancée diplomatique majeure et un geste symbolique qui ne l’est pas moins. Elle ne saurait cependant tenir lieu de politique à elle seule. De véritables mesures doivent suivre, que ce soit en matière de coopération avec les pays arabes pour assurer une souveraineté pleine et entière dans les mains de l’Autorité palestinienne, ou pour engager un véritable bras de fer économique avec un gouvernement d’extrême droite responsable d’un génocide. Car, comme l’écrivait le poète Tawfik Zayyad, « ici nous avons un passé, un présent et un avenir ». À la France, désormais, de contribuer à rendre possible cet avenir.