Le 15 juillet, François Bayrou fêtait la Nation à sa manière. Après une vie à dénoncer l’endettement public et un quinquennat à soutenir une politique qui le creusait comme jamais, il donnait doctement le montant de la facture aux français : 45 milliards d’euros à trouver tout de suite. Et à trouver pas dans n’importe quelles poches. D’abord celles de la France qui travaille, ensuite dans celles de la France pauvre, enfin chez les français malades.
Entre père la rigueur et père la morale c’était nous dit-il « le moment de vérité ». Comprenons, il n’y a pas d’alternative. Entendons, j’ai été, seul, prophète en mon pays et l’Histoire me place dans la situation singulière de celui qui doit déboucler la crise. Cassandre à Matignon. La mystique en guise de mystification.
Le pays est pris à témoin. Le parlement à revers. Puisque les annonces ont lieu au moment où celui-ci ne peut plus se réunir pour dire son fait au Premier ministre. On sait d’ailleurs que François Bayrou a rêvé de le contourner par une procédure référendaire. Même Emmanuel Macron – d’ordinaire si peu précautionneux avec nos institutions – a dû rappeler au premier ministre les règles constitutionnelles en matière budgétaire. Qu’à cela ne tienne, le Premier ministre veut entretenir sa relation directe avec les français. Il se fait depuis le 5 août youtubeur pour faire la pédagogie de « son » budget. Les françaises et les français ont bien compris qu’on voulait leur parler directement. Ils ont visiblement pris le parti de répondre le 10 septembre dans la rue dans un mouvement « bloquons tout » dont les modalités d’organisation et le caractère spontané ne sont pas sans rappeler les débuts des gilets jaunes en 2018. Le ministère de l’intérieur s’est dit inquiet. Et s’il avait raison pour une fois ?
Les socialistes face à François Bayrou : une valse à deux temps
Comme l’année dernière la position des socialistes sera déterminante sur le budget. Quelle stratégie adopter pour l’exercice 2026 ? Le problème devant nous se résume en deux questions fondamentales. Quel est le montant de la facture de l’échec de la politique économique du macronisme pour l’année qui vient ? Et qui la paye ?
La première question est un préalable à la seconde. Le cadre général posé par François Bayrou d’un effort en dépense et en recette de 45 milliards d’euros est une absurdité économique. De la médecine de Molière. Les recettes du FMI d’il y a 50 ans. Une forme d’austérité panique à la grecque avec des conséquences économiques et sociales dramatiques. Les prévisionnistes de l’OFCE évaluent que la contraction de l’activité à laquelle conduirait le plan Bayrou ferait remonter le chômage à 9%. Des centaines de milliers de vies brisées. Insoutenable.
De ce fait, la première exigence que doivent poser les socialistes comme un intangible et que nous avons été un certain nombre à exprimer dès le 15 juillet au soir est de diviser le montant de la facture du budget 2026 par deux. C’est un préalable nécessaire à toute discussion. Le retour progressif à l’équilibre des finances publiques plutôt que la curée. Une telle position est d’ailleurs à même de rassembler les socialistes puisque c’est un héritage non contesté de la présidence Hollande qui avait dû gérer l’apurement des comptes après la crise de 2008 et celle de la zone euro. Il nous faut être binaire sur ce point. Soit François Bayrou y consent et nous rentrons en discussion. Soit François Bayrou s’y refuse et nous rentrons en résistance. Et quel que soit le nom de son successeur, il nous faudra tenir cette position fondamentale de censurer tout gouvernement qui se refuse à réduire drastiquement le rythme de réduction des déficits. Avec un mot d’ordre clair : nous censurerons toujours l’austérité. La restauration des comptes publics ne peut s’opérer selon une logique de “quoi qu’il en coûte” aux classes moyennes et populaires.
Ensuite, si ce gouvernement ou le suivant revoit sa copie, vient la question subséquente de qui doit payer la crise budgétaire ? Notre réponse a la naïveté des choses justes : ceux à qui il en coûte le moins. Cela signifie ceux qui ont fait des fortunes ou les ont consolidées grâce aux largesses fiscales d’Emmanuel Macron. La frange la plus aisée des retraités, aussi, qui a un niveau de vie désormais nettement supérieur à celui des actifs et qui doit contribuer à l’équilibre des comptes sociaux au lieu d’épargner. Enfin les mesures de pertes de pouvoir d’achat généralisées comme l’année blanche et celles de perte du temps libre comme la suppression de deux jours fériés doivent, elles, être abandonnées pour leur injustice et leur philosophie rétrograde. Du côté du fonctionnement de l’Etat et des collectivités publiques, s’il est possible de gagner en efficacité de l’action, les règles sarkozystes new age de non-remplacement automatique de fonctionnaires que Bayrou veut remettre au goût du jour doivent être bannies. Nous nous remettons à peine dans beaucoup de services publics, notamment la police, de la purge opérée entre 2007 et 2012. Ce n’est pas pour fragiliser à nouveau l’Etat.
Les leçons de la non-censure de 2025
Une proposition de ligne claire peut donc être formulée mais les pièges dans son exécution sont innombrables. De l’expérience de la non-censure de 2025 nous devons retenir plusieurs leçons. D’abord, réaffirmons qu’il n’est jamais indigne et tout à l’honneur des socialistes de continûment chercher un chemin de compromis fort comme ils le firent dans le sillage de la proposition portée par le président du groupe socialiste, Boris Vallaud, le 25 novembre dernier et comme nous essayons ici d’en poser les termes pour 2026. Ensuite, soyons aussi capables d’assumer le fait que nous ne portons pas seuls le poids de la République sur nos épaules et que lorsque le gouvernement ne recherche pas avec la même bonne foi un authentique compromis ou qu’il le cherche avec le Rassemblement national, il faut le censurer. Enfin soyons conséquents. Tenons parole. Lorsque nous disons devant les français, que nous censurerons le gouvernement en cas d’absence de suspension de la réforme des retraites, le faire ou ne pas le dire. Souvenons nous aussi que le premier ministre n’est pas digne de confiance et refusons les promesses de gascon qui ne valent que pour l’avenir. La question des retraites devait revenir au Parlement après le conclave. Ce ne sera pas le cas.
Le dernier point et sans doute la plus fondamentale est qu’il faut faire campagne dans le pays sur les idées marquantes que nous défendons dans les institutions pour les faire déborder dans la rue et générer une pression populaire sur le gouvernement. Car au jeu de la pression, ils exerceront, eux, sur nous, sans ménagement celle des marchés financiers et celle de l’appel à la responsabilité dans l’usage de la censure. À nous de ne pas céder. À nous surtout de gagner la bataille de l’opinion pour donner un bon budget à la France.