Analyse par LA RéDACTION

Budget Lecornu : vers une catastrophe industrielle provoquée par l’intransigeance des députés macronistes ?

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AUTEUR : LA RéDACTION

Sébastien Lecornu voulait, paraît-il, un « budget de compromis ». En renonçant au 49.3, il promettait le dialogue. Mais cette semaine, changement de ton : il agite désormais la menace du chaos. Son gouvernement cherche des boucs émissaires dans les oppositions. Une vérité s’impose pourtant : les premiers responsables de l’accident industriel budgétaire en cours, ce sont d’abord les députés macronistes eux-mêmes, en raison de leur intransigeance fiscale.

Budget Lecornu : vers une catastrophe industrielle provoquée par l’intransigeance des députés macronistes ?

LE GRAND RETOUR DU « PÉRIL BUDGÉTAIRE »

Après la carte du compromis, voici le joker de la peur. Lundi 17 novembre, au sommet Choose France, devant un public de grands investisseurs, le Premier ministre a inauguré une nouvelle partition : « Le péril qui pèse sur l’économie française, c’est l’absence de budget. »

L’ambiance a clairement changé à Matignon. Le Premier ministre évoque désormais ouvertement l’hypothèse d’un échec du processus budgétaire. Et si l’habileté ne suffisait plus ? Le Monde relaie même des critiques internes : et si la « stabilité » affichée ne cachait pas un opportunisme réel ? Et si ce goût du compromis n’était que le masque d’une « inconsistance idéologique » ?

Fragilisé, l’exécutif cherche un coupable. Il tente d’imputer aux oppositions l’impasse budgétaire, en oubliant l’absence totale de sens du compromis dans son propre camp. Dans la newsletter Politico Playbook, des conseillers de Bercy réclament même une « discipline de fer » du côté socialiste. Amélie de Montchalin va jusqu’à menacer : « Il n’y aura suspension de la réforme des retraites qu’en cas de vote du budget. » Un conseiller, cité par Politico, résume la ligne : les socialistes « ne pourront pas continuer à se comporter comme ça ».

Bref, les macronistes exigent que la gauche endosse un budget qu’elle n’a pas écrit, et où les inflexions sont quasi inexistantes, contrairement au budget de la Sécurité sociale, qui a fait l’objet d’un compromis réel.

FISCALITÉ DES MILLIARDAIRES : CONCESSION ZÉRO

Le principal problème de ce budget reste l’intransigeance fiscale du camp présidentiel. Sébastien Lecornu, lui-même, n’a jamais ouvert la voie à une taxation des ultra-riches. Le 26 septembre, dans Le Parisien, il excluait déjà explicitement le retour de l’ISF et de la taxe Zucman, assumant que toute hausse de prélèvements se ferait « ailleurs ». Quelques jours plus tard, Le Monde confirmait que le Premier ministre avait « écarté » toute idée de taxe Zucman, jugée risquée et aux recettes « incertaines ». Même sous pression, il ne concéda qu’une formule floue de « taxe sur le patrimoine financier ». Lors du rejet de la taxe Zucman en séance, il réaffirma son « profond désaccord » et décréta qu’« il n’existe pas d’impôt miracle ».

Mais pour aller au bout sans 49, alinéa 3, sur le budget, Sébastien Lecornu doit obtenir l’abstention de tous les députés socialistes, écologistes et communistes. C’est dans cet esprit que les socialistes proposèrent le principe d’une contribution des très grandes fortunes issu de leur contre-budget. Dès la rentrée, un sondage IFOP montra que 86 % des Français approuvent la taxe Zucman, dont 92 % des sympathisants Renaissance et 89 % des électeurs LR.

Conscients du blocage de l’exécutif, les socialistes proposèrent même une taxe Zucman « light ». Sur RTL, fin octobre, Boris Vallaud expliqua que cette version visait à « tester la sincérité du bloc central ». Le PS durcit le ton : Boris Vallaud et Olivier Faure ont martelé que ces taxes constituaient des « lignes rouges » de leur position sur le budget.

Malgré cette pression, le camp présidentiel rejeta toutes les propositions visant les très grands patrimoines. Les socialistes obtinrent seulement l’extension timide de l’IFI aux patrimoines « improductifs », à taux fixe de 1 %, pour un rendement d’environ 500 millions d’euros. Résultat : les socialistes, réunis en bureau national mercredi 19 novembre, ont fait savoir qu’ils voteraient contre la partie « recettes » du budget. Une manière de redire aux macronistes que, sans justice fiscale et sans abandon de la fumeuse théorie du ruissellement, il n’y aurait pas de voie de passage.

UNE INTRANSIGEANCE MACRONISTE POINT PAR POINT

Zucman. En séance, le camp présidentiel a voté en bloc contre la version complète, puis contre la version allégée de la taxe Zucman.

Holdings. Initialement, la taxe sur les holdings devait viser 10 000 structures détenant plus de 5 millions d’euros d’actifs. Mais le 31 octobre 2025, un amendement de Philippe Juvin a relevé les seuils, réduit l’assiette et recentré la taxe sur quelques biens somptuaires (yachts, jets, grands crus), taxés à 20 %, tout en épargnant la trésorerie des holdings et les principaux actifs financiers. Plusieurs sites spécialisés notent que le Gouvernement ne s’y oppose pas et ne sait même pas en chiffrer l’impact. La réforme devient symbolique.

Fortune. Le nouvel impôt sur la fortune « improductive » remplace l’IFI mais reste très limité : taux unique de 1 %, en contraste avec la progressivité de l’impôt initial, malgré une assiette élargie à certains actifs spécifiques (fonds en euros, actifs numériques, trésorerie). Les estimations évoquent environ 500 millions d’euros de recettes supplémentaires. Pour les socialistes, cette réforme ne redistribue pas le poids fiscal et laisse intacts les principaux privilèges patrimoniaux.

Bénéfices. La surtaxe exceptionnelle sur les bénéfices, qui rapportait 8 milliards en 2025, devait retomber à 4 milliards en 2026. Sous la pression de la gauche et de quelques centristes, un compromis est trouvé le 27 octobre 2025 : l’objectif est remonté à 6 milliards. Mais pour les socialistes, cette surtaxe sur les profits ne remplace pas l’absence totale d’effort demandé aux ultra-riches.

UNE PISTE D’ATTERRISSAGE INTROUVABLE

Et maintenant ? Le Gouvernement s’apprête à transmettre la première partie du budget, tel qu’examiné, au Sénat. La droite sénatoriale annonce déjà qu’elle « détricotera » le texte et proposera un budget LR. On fonce tout droit vers une commission mixte paritaire qui ne pourra pas être conclusive.

Or, comme le rappelle le constitutionnaliste Benjamin Morel sur X, sans commission mixte paritaire conclusive, l’Assemblée n’a plus vraiment le dernier mot : « Le Sénat joue un rôle bien plus important qu’on ne le dit dans la procédure budgétaire. Pour le comprendre, il faut saisir le lien entre le dernier mot et la CMP. Le dernier mot de l’Assemblée nationale ne peut intervenir que sur le texte issu de la commission mixte paritaire (ce qui suppose qu’elle soit conclusive) ou sur le dernier texte qu’elle a elle-même adopté. Si la CMP n’est pas conclusive, il n’y a donc pas de dernier mot possible pour l’Assemblée, ce qui empêche de se passer de l’aval du Sénat pour voter le budget. L’autre voie consisterait à adopter un texte en seconde lecture à l’Assemblée, mais il faudrait une majorité incluant les LR votant pour le texte, ce qui est peu probable après une CMP non conclusive. À ce stade, il existe donc un quasi-droit de veto sénatorial sur le budget. »

Un Premier ministre isolé. Un budget sans majorité. Des recettes introuvables. Une fiscalité intouchable pour les milliardaires. Un Sénat en roue libre. Voilà où nous en sommes. Tout se jouera donc lors de la seconde lecture à l’Assemblée nationale. Soit les macronistes acceptent que, pour donner un budget à tous les Français, il faut mettre à contribution les plus riches, soit ils plongent le pays dans l’instabilité qu’ils génèrent depuis la dissolution pour protéger les milliardaires de l’impôt.

Le moment de vérité est proche.