En avril 2024, Emmanuel Macron rappelait dans l’amphithéâtre de la Sorbonne sa vision de l’Europe, qui guide la diplomatie française depuis François Mitterrand : « L’Europe puissance, c’est simple, c’est une Europe qui se fait respecter et qui assure sa sécurité. »
Il est peu probable qu’Ursula von der Leyen ait eu ces mots en tête fin juillet en signant un projet d’accord commercial avec les États-Unis. L’Union européenne, pourtant deuxième puissance économique mondiale, accepte des droits de douane de 15 % sur la plupart de ses exportations, s’engage à importer pour 750 milliards de dollars de gaz américain sur trois ans, à renforcer ses achats d’armement américain, et à investir 600 milliards supplémentaires aux Etats-Unis.
La hausse des droits de douane américains annonce une nouvelle phase de désindustrialisation : au moment même où le nombre de défaillances d’entreprises a dépassé les records de la crise de 2008, plusieurs filières stratégiques font face au risque d’une vague de fermetures : chimie, produits pharmaceutiques, automobile, armement, etc. La filière agricole est aussi touchée, même si des exemptions pourraient préserver les exportateurs de spiritueux et de vins.
Au-delà des conséquences désastreuses pour notre industrie et notre agriculture, le résultat des négociations entre les États-Unis et la Commission européenne nous invite à interroger la notion d’« Europe puissance ».
L’idée d’une « Europe prête à peser à l’échelle du monde » est en effet une idée essentiellement française, peu répandue à l’étranger. Les autres grandes économies de l’Union ont toujours vu l’Europe comme une façon de défendre leurs intérêts commerciaux, notamment leurs exportations. En Allemagne ou en Italie, pays excédentaires vis-à-vis des États-Unis, l’accord est donc perçu comme un moindre mal sur le plan économique, alors que ces deux pays auraient été les plus touchés par une guerre commerciale.
Ce « besoin d’accord » de nos voisins s’explique aussi sur le plan sécuritaire, à rebours de l’ambition d’une « défense commune ». Contrairement à la France, les autres pays européens sont militairement dépendants des États-Unis : plus de 60 000 soldats américains sont déployés dans onze pays de l’Union européenne et 64 % de l’armement des pays européens de l’OTAN vient des Etats-Unis. La France, stratégiquement autonome, est donc largement isolée quand elle se dit prête à assumer le rapport de force au nom de la défense de sa souveraineté.
Bien sûr, l’échelon européen reste indispensable pour affronter les grands défis de notre époque. Mais face à ces défis, la Commission semble aujourd’hui désarmée. Les politiques climatiques portées par le Green Deal, Fit for 55 ou REPowerEU sont vidées de leur substance par les exigences de Donald Trump : l’application de cet accord entraînerait une hausse de 60 % des importations fossiles.
Ces contradictions illustrent les limites de l’Union pour affronter ensemble les défis économiques, sécuritaires et climatiques. La réhabilitation de l’échelon national devient, pour les socialistes français, indispensable : elle doit permettre de penser des alliances ciblées avec les États partageant nos priorités — réindustrialisation, transition écologique, défense — pour préserver notre capacité à agir lorsque l’Europe se révèle incapable de protéger nos intérêts stratégiques et nos valeurs de souveraineté démocratique, de justice sociale et de solidarité.