Analyse par GAUTHIER PEZY

De garants de l’ordre à prophètes du chaos : mutations de la puissance américaine

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AUTEUR : GAUTHIER PEZY

À la faveur du déclin relatif des États-Unis, le 47e Président des Etats-Unis a substitué aux principes diplomatiques, une logique transactionnelle fondée sur l’intimidation, la brutalité et la mise en scène.

De garants de l’ordre à prophètes du chaos : mutations de la puissance américaine

28 février 2025. Bureau Ovale. Aux côtés de son vice-président, Donald Trump coupe la parole à Volodymyr Zelensky. Il l’accuse de ne pas être « thankful ». Puis la sentence tombe « L’accord ne sera pas signé», avant de congédier le président ukrainien et d’annuler la conférence de presse. L’émotion est mondiale. Un président américain humilie publiquement et en mondovision un chef d’État allié — qui plus est celui du pays le plus pauvre d’Europe, en guerre depuis deux ans contre la Russie. Cette mise en scène paroxystique en dit long. À la faveur du déclin relatif des États-Unis, le 47e Président des Etats-Unis a substitué aux principes diplomatiques, une logique transactionnelle fondée sur l’intimidation, la brutalité et la mise en scène. Au passage, il liquide son statut de puissance hégémonique pour se replier sur la domination pure et dure. Derrière les outrances, une continuité sans équivoque : celle de la défense prioritaire des intérêts nationaux américains, par tous les moyens. 

L’innovation de 2025 : le tout azimut

En 2025, Trump innove. Il déploie cette stratégie du fou tout azimut : contre ses ennemis et avec ses alliés. L’objectif est de créer une série de rapports de force asymétrique favorables en multipliant les coups de théâtres. 

La méthode rompt avec les codes de l’hégémonie américaine. Depuis la seconde guerre mondiale, les États-Unis ont prétendu incarner à la fois le bras armé légitime et la conscience morale du « monde libre ». Leur puissance reposait sur un double mythe : celui d’un ordre libéral international garanti par leur supériorité militaire et un modèle démocratique promu comme horizon universel.  

Désormais, Washington conteste avant tout les cadres normatifs qui contraignent les appétits américains. Un cadre dans lequel les États-Unis ne parviennent plus à imposer leur hégémonie par la seule force du droit extraterritorial, du dollar ou de l’US Army.

La guerre commerciale engagée par Donald Trump en 2025 est l’exemple le plus frappant de cette nouvelle donne. La Chine est d’abord ciblée. Puis, c’est au tour de l’Europe. En mai 2025, l’Union, terrorisée à l’idée d’un bras de fer, accepte d’entrer en négociation. L’Allemagne, soucieuse de préserver ses intérêts industriels, met une pression maximale. Le 27 juillet, la signature d’un accord commercial acte la soumission : promesses d’investissements, allègements ciblés pour les firmes américaines, droits de douane différenciés. 

Washington ne cherche pas à rompre ses alliances historiques. Il les redéfinit. Les États-Unis n’assument par principe des responsabilités globale, ils exigent désormais un bénéfice tangible en retour. En parallèle, les cadres multilatéraux sont désinvestis au profit de relations bilatérales plus simples à contrôler et à monétiser. La transaction déséquilibrée est partout. La réciprocité de la norme nulle part.

Le chaos contre l’hégémonie

Ce pari a un coût d’autant plus élevé qu’il comporte des risques de retour de flammes immédiats évident. La polarisation maximale tout azimut risque de faire exploser une société américaine déjà sous tension. Car en quatre ans et demi de mandat, Trump a déjà bien entamé les fondations de la démocratie américaine.

Au-delà, Trump opère un sabotage interne de l’hégémonie américaine. Si on suit Charles Krauthammer, théoricien du “moment unipolaire” américain (Foreign Affairs, 1990) : la stabilité naît d’une puissance capable de structurer le système, pas seulement de le dominer militairement. Si l’imperium impose, l’hegemon organise. Avec Trump, la nation américaine n’organise plus grand chose. Elle devient un acteur perturbateur. Cette stratégie du fou radicalisé porte en elle une instabilité structurelle et un déclin durable des Etats-Unis.

Ce chaos s’inscrit en outre dans un projet réactionnaire qui s’écrit à plusieurs mains, entre chefs d’État nationalistes, groupes ultraconservateurs, milliardaires de la tech. Ensemble, ils orchestrent une contre-offensive mondiale contre l’universalisme des droits, l’écologie et la justice sociale. À l’heure où le grand rival chinois élabore ses normes et construit de plus en plus d’espace de régulation alternatif, l’anomie américaine est plus qu’une folie passagère, c’est une faute stratégique.