« Ton corps, mon choix » : ce slogan, apparu dans l’Amérique de Donald Trump, devenu mot d’ordre de forums masculinistes, illustre à lui seul la vitalité d’un mouvement qui ne relève plus de la marge. En France, début juillet, le parquet national antiterroriste a été saisi dans une affaire de projet d’attentat “incel” déjoué, un signal d’alarme. Cette idéologie prospère et gagne du terrain dans les tribunes politiques et sur nos écrans. Du maintien du statu-quo patriarcal, elle nous promet en fait un idéal de société régressif, aux relents fascistoïdes. Interrogeons la fonction sociale et politique du masculiniste.
Le mythe de la “crise de la masculinité”
Le masculinisme apparaît dans les années 1970, en même temps que des avancées sociales et féministes majeures : accession à l’enseignement supérieur et au marché du travail, obtention de la légalisation de la contraception. Dans Antiféministes et masculinistes d’hier et d’aujourd’hui, l’historienne Christine Bard rappelle que le mouvement masculiniste s’est construit en dénonçant une prétendue “crise de la masculinité”, dont le féminisme serait responsable. Une partie du débat public, relayée par des figures comme Élisabeth Badinter, y voit alors une symétrie : les hommes, déstabilisés, seraient victimes d’un “choc féministe”.
La journaliste Pauline Ferrari, dans Formés à la haine des femmes, identifie cinq thèmes récurrents structurant l’idéologie masculiniste : le suicide des hommes, l’échec scolaire des garçons, la garde des enfants après un divorce, les violences faites aux hommes et les difficultés d’accès à la sexualité. Autant de points d’appui pour construire le récit d’une inversion des rapports de domination, selon lequel les femmes auraient pris “trop de pouvoir” et instauré un matriarcat oppressif. En France, en 2025, le Haut Conseil à l’égalité constate que près de la moitié des hommes de moins de 35 ans estiment qu’il est “difficile d’être un homme aujourd’hui”.
Du “déclassement des hommes” à la haine des femmes
La rhétorique masculiniste s’organise ainsi autour d’une guerre des sexes imaginaire, où la revendication d’égalité est perçue comme une dépossession. De la défense des pères divorcés aux communautés d’”incels”, le masculinisme agrège des revendications diverses et glisse vers la haine des femmes, nourrissant des appels au viol ou au meurtre, et tuerie de masse, à l’image de l’attentat perpétué à Toronto en 2018.
Ces idées circulent désormais à grande vitesse. Andrew Tate, influenceur américain suivi par des millions d’adolescents, prône une virilité agressive et marchande, mêlant anti-féminisme, anti-véganisme, mépris des droits et culte de la richesse. Alex Hitchens est son pendant français. Leur succès témoigne de la puissance d’un marketing qui transforme la “revirilisation” en produit de consommation. En miroir, les “tradwives”, ces épouses traditionnelles qui vantent sur les réseaux sociaux les mérites d’un retour à la soumission domestique, contribuent à normaliser ce récit régressif.
Dans Alpha mâle: séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes, l’anthropologue Mélanie Gourarier souligne que « la masculinité tire sa force de la menace de sa perte ». En la présentant comme fragile, toujours menacée, on légitime sa reconduction comme domination. La sociologue Raewyn Connell parlait de “masculinité hégémonique” : un ordre viril imposé, y compris entre hommes. La virilité s’exerce alors comme instrument politique : d’abord pour écraser les femmes, ensuite pour hiérarchiser les hommes eux-mêmes, notamment dans les milieux populaires frappés par le déclassement.
La guerre des idéaux
Le journaliste afro-américain Rembert Browne affirme que Donald Trump a réussi à être élu président “en rendant la haine intersectionnelle” grâce à une rhétorique à la fois antiféministe, homophobe et raciste. La stratégie n’est pas nouvelle, Christine Bard rappelle que dès les années 1930, l’antisémitisme associait le féminisme à un complot affaiblissant la nation. En Europe, ce schéma ressurgit : le masculinisme s’intègre à la théorie du “grand remplacement”, accusant le féminisme d’être responsable de la baisse de natalité occidentale. La convergence est manifeste entre antiféminisme, racisme et nationalisme autoritaire, culte du chef et de la force, société hiérarchisée et rejet de la démocratie libérale. Le masculinisme s’impose comme nouvelle composante de l’extrême-droite, dont nous devons tenir compte dans nos luttes.
Dans ce contexte, le Parti socialiste, parti féministe, doit réaffirmer son ambition de reconquête des classes populaires en portant un projet de société égalitaire et libérateur pour toutes et tous. Il reste tant à faire pour l’égalité réelle, et il est de notre devoir de proposer un idéal social qui évite qu’un jour l’on ait à dire qu’il faudrait “reconquérir les hommes”. La convergence des luttes sociales demeure la clé des avancées féministes.