Démarchandiser le travail, par Gulsen Yildirim
Gulsen Yildirim, Première secrétaire fédérale du Parti Socialiste en Haute-Vienne, en 2022.
Pour nous socialistes, le travail est l’instrument de la libération de l’individu et de son émancipation. C’est pourquoi, longtemps remplacée par des préoccupations liées à l’emploi, la question du travail doit être au centre de nos débats sachant que des transformations de fond bouleversent le rapport au travail. Pour toutes et tous, ces mutations n’apparaissent pas comme des facteurs de progrès visant à améliorer les droits des salarié.e.s. Elles sont associées à une dégradation continue des conditions de travail qui touche l'ensemble des domaines d’activité indépendamment du statut. Ces mutations nous obligent à l’élaboration de nouvelles doctrines. La démarchandisation du travail en est certainement la plus emblématique. En effet, elle fournit à la fois une terminologie et une méthodologie pour repenser le travail. Depuis des décennies, on fait référence au « marché du travail » comme si le travail était une marchandise comme les autres dont le salaire c’est-à-dire le prix pourrait varier selon la loi de l’offre et de la demande. Or, nos normes constitutionnelles ou les conventions internationales ratifiées par la France consacrent depuis bien longtemps une conception du travail éloignée de cette logique marchande. Il est désormais temps que ces principes deviennent réalité.
Protéger le travail de la loi du marché : la garantie d’emploi
Tout d’abord, démarchandiser le travail protège certains secteurs des seules lois du marché. La pandémie a montré que les humains au travail ne peuvent être réduits à des « ressources ». Toutes celles et ceux qui nous ont permis de continuer à vivre dans cette période de confinement, en sont la démonstration vivante. C’est pourquoi les soins de santé, la prise en charge et l’accompagnement des plus vulnérables sont autant d’activités qui doivent être protégées des seules lois du marché, sans quoi nous risquons d’accroître toujours plus les inégalités. De même qu’il faut protéger certains secteurs des seules lois d’un marché non régulé, il faut aussi assurer à chacun l’accès à un travail qui lui permette d’assurer sa dignité. Une façon d’y parvenir est de créer une garantie d’emploi pour toutes et tous, offrant la possibilité à chaque citoyen de bénéficier d’un emploi. Cette garantie d’emploi permettra non seulement à chacune et chacun de vivre dignement, mais aussi collectivement de décupler nos forces pour mieux répondre aux nombreux besoins sociaux et environnementaux.
Une conception exigeante de l’entreprise
Ce nouveau regard suppose aussi de donner sa juste place aux salarié.e.s dans l’entreprise. Cette dernière ne peut être gouvernée par les seuls actionnaires ou leurs mandants dont le seul objectif serait de faire du profit. Ces actionnaires ne sont pas les seuls à prendre des risques et à porter de l’intérêt à l’entreprise. Les travailleuses et travailleurs engagent leur corps, leur temps, leur esprit dans leur travail. L’entreprise est donc bien la réunion de ces deux parties constituantes et pour fonctionner, elle a besoin des deux. Il n’est pas juste que les seuls représentants des apporteurs de capital fassent entendre leurs voix et leurs intérêts. Par conséquent, toutes les décisions importantes de l’entreprise doivent être prises par la majorité des représentants des apporteurs de capital et des travailleur.e.s. En somme, cette vision démarchandisée du travail constitue la voie tout à la fois ambitieuse et réaliste pour repenser le travail pour mieux le reconnaître.